Salvador-vend 8 au dim 10 sept 2006
Vie quotidienne, discussions sur la politique et la disoarition du beriba (arbre utilisé pour la fabriction du berimbau)
Salvador de Bahia. Plage do Farol.
Le retour en ferry sur Salvador s’effectue bien difficilement. Tous les lanchas ont été annulés à cause du mauvais temps. Nous traversons l’île d’Itaparica en combi jusqu’à Bom Despacho et nous voici perdus de nouveaux dans une foule de centaines de personnes qui attendent l’unique malheureux ferry boat de la journée. Dans la région, contrairement aux autres régions, les gens sont stressés, ils poussent, veulent être les premiers. Il n’y a qu’en Amazonie à Marajo où Simon s’était fait mordre l’épaule par un type parce qu’il n’avançait pas assez vite dans la file d’attente.
Restaurant Yémanja. Femme Bahianaise.
La vie en collectivité nous est vraiment de plus en plus pénible. Le ferry brinquebalant claque dans tous les sens. Deux femmes évangélistes ont la bonne idée de clamer des discours religieux terrifiants dans une effervescence à la limite de l’agressivité. Elles hurlent en lisant des textes, se proclament professeur de Dieu ou de Jésus selon les goûts. Et voici des dizaines de passagers qui se mettent à applaudir… au secours. Impossible d’y échapper tant la foule du bateau est dense. Il y a quand même pas mal de personnes agacés qui haussent les épaules, pouffent de rire et tentent d’échapper à ce malheureux discours composé de « quand on sera mort, dans notre résurrection… ». Autant d’énergie pour parler de l’après-mort au lieu de l’utiliser pour lutter à vivre décemment !
Une heure à supporter ça. C’est épouvantable. Avec les portes en fer du bateau qui claquent sous les effets de la houle et du vent, les bébés qui pleurent, les enfants qui crient et ces 2 évangélistes qui tentent désespérément d’effrayer une pauvre foule de badeaux avec leur diable bon marché.
Salvador de Bahia. Plage do Farol.
Nous retournons dans le Pelourinho pour échanger nos derniers travellers chèques dans visiblement le seul endroit possible de Salvador (aux dires de nos guides et des gens d’ici donc…). Avant de descendre du taxi, le chauffeur nous met en garde contre tous les dangers du quartier… pas de chance !!! On a presqu’envie d’en rire tellement cette ambiance oppressante est incroyable !
Salvador de Bahia. Plage do Farol.
Au bureau de change, nous tombons sur un Français qui vit ici depuis 20 ans et qui nous raconte comment c’était alors : tickets pour la bouffe avec pour tout supermarché une étagère d’eau, une étagère de poulets et quand y’en a plus, y’en a plus !
Il dit que la ville s’est enrichie de manière extraordinaire. Cela nous laisse pantois.
Lui trouve normal que les cours de capoeira soient chers ici puisque c’est originaire de Salvador. On lui dit que les profs d’ici qui pratiquent la capoeira en France et qui en vivent, demandent moins chers qu’ici à Salvador. Il n’entend pas. Dommage. Il répond : « Ce sont des français là-bas, pas des profs brésiliens… ». Jorge et Branco français ? Ils seraient morts de rire s’ils entendaient ça.
Vanià nous donne une lettre d’amitié des plus touchantes : « Je vous ai beaucoup aimé… c’était important pour moi de vous rencontrer… j’aime vos manières simples et sereines d’être vous mêmes… à part Cidinha, personne n’a jamais cherché à me parler comme à une personne, une amie… je ne suis malheureusement pas libre, mais si je pouvais, je voyagerais partout avec vous… ».
Le soir, des amis de Cidinha nous rejoignent à Salvador. Ils viennent du Minas Gerais et font plusieurs haltes jusque Fortalezza où ils déménagent. Ils y ont trouvé du travail. 3000 km en voiture effectués en une semaine pour un contrat à durée déterminée de 5 ans. Ce géologue de profession est fou de joie ; c’est la 1ère fois qu’il décroche un contrat si long. Et cela fait la 3ème ou 4ème fois qu’ils déménagent à plusieurs milliers de kilomètres de chez eux pour travailler. Nous fêtons ça au fameux resto Yémanja, en bordure de l’océan. Un délice.
Le samedi, nous prenons le taxi jusqu’à la rodovarià pour prendre un bus jusque Cachoeira dans le Reconçavò. Deux heures de voyages encore épiques nous attendent. Simon n’en peut plus de ses voyages de fous. De redevenir un touriste 2 jours de plus, plus le trajet avec les bus fous et à cette idée, nous demandons au taxi de faire demi-tour. Pourquoi se prendre la tête à faire un truc dont on n’a pas envie ?
On a toute la vie pour revenir dans de meilleures dispositions… Simon ne se remet pas trop des turbulences verbales du ferry-boat de la veille ni de ses lectures dans le Lonely Planet : ne visitez pas Cachoeira sans guide touristique à cause des nombreux vols surtout dans les églises etc… ». On sait que ce guide n’est pas le plus délicat en la matière, mais depuis nos malheureux évènements, cela crée en nous une espèce de paranoïa proche de l’asphyxie.
Simon pense à tous ce qu’il va faire en rentrant à la maison. Son envie de redevenir un Etre du quotidien est plus forte que tout.
Il souhaite rester tranquillement chez Cidinha à bouquiner, écrire, cuisiner. De toute façon, il pleut encore.
Salvador de Bahia. Plage do Farol.
Avec Cidinha, nous allons à l’Université de Biologie pour qu’elle puisse récupérer des documents importants. A l’entrée, la voiture est fouillée par des vigiles. Idem à la sortie. Elle est obligée chaque fois de montrer sa carte de professeur. L’enceinte universitaire fédérale renferme en réalité plusieurs universités différentes, des banques, des restos. Celle de biologie est engloutie sous les plantes et la végétation tropicales.
Cidinha : « c’est ici même que je fais mes cours… dans ce fourbis de plantes à l’abandon. C’est ce qu’il y a de plus intéressant. J’adore cette odeur de feuilles mouillée par la pluie hummm… ».
C’est vrai que les odeurs végétales dans ce pays sont une chose extraordinaire. Unique. Certains vendeurs d’odeurs en Europe s’en sont bien inspirés, et nous reconnaissons souvent certaines notes de tel ou tel fabriquant. Mais ici, tout est en odeur nature !
Cdinha est en train d’imprimer des documents dans le bureau des profs lorsque 2 élèves arrivent sagement devant la porte du bureau.
Le garçon : « madame Cidinha, je peux vous demander une info ? ».
Il tient une pile d’énorme feuilles d’arbres qui ressemblent à des orties mais dont l’odeur est proche de la verveine.
Cidinha : vas-y mon gamin, j’t’écoute, qu’est-ce qu’il y a mon gamin ?
Le garçon : j’ai la diarrhée depuis hier, j’ai fort mal au ventre, je peux me faire du thé avec ces feuilles pour me soigner ?
La fille avec lui : je pense que c’est avec cette plante que je me suis déjà soignée moi-même mais je ne suis pas certaine…
Cidinha : « montre voir ce que c’est… ».
Elle saisit une des feuilles et la tâte à pleine main, la renifle sous toutes les coutures puis la casse en 2 et la respire une dernière fois d’une aspiration sèche et nette. Le diagnostique fait, elle explique aux jeunes couples d’élèves que c’est une reproduction d’une autre plante et qu’ils ont confondu. A vrai dire, j’ai pas tout compris dans leurs histoire de plante et d’hybride.
Salvador de Bahia. Plage do Farol.
Cidinha : « il faut faire sortir tout ce qu’il y a à faire sortir de tes intestins et boire beaucoup beaucoup d’eau et de thé, vu ? Mais si dans 2 jours tu as encore la diarrhée, tu vas voir un médecin, vu ? ».
Le garçon et la fille : « d’accord madame Cidinha, vu. Merci madame Cidinha, à lundi ! »
En repartant dans la voiture, Cidinha m’explique que beaucoup d’élèves en biologie ont l’intention de pratiquer les médecines douces grâce aux plantes. Que la médecine est si cher et les médicaments tellement impossible à acheter, que tout le pays se rabat sur les plantes. Nous discutons de l’Amazonie, de ce que nous y avons vu et entendu.
Cidinha : « quelle chance vous avez d’avoir vu tout ça… j’en rêve. Je vais faire ce voyage un jour. »
Salade de crevettes bahianaises à la christophine.
Nous allons boire une aguà de coco sur la plage, puis comme la pluie recommence à tomber, nous partons visiter quelques appartements. Cidinha cherche à en acheter un. Le délabrement général de tout ce qu’elle visite la désole et la décourage un peu. A Salvador, pour un appartement correct dans un condominio, avec 1 chambre seulement, il faut compter 35.000 à 50.000 euros minimum. Pour le Brésil, ce n’est pas donné.
Les propriétaires de l’appartement que Cidinha doit visiter maintenant ne sont pas les propriétaires comme prétendus. Ils donnent rendez-vous à Cidinha à une station essence puis nous rejoignent en voiture et nous emmènent. C’est une agence immobilière en fait.
Virginie : « pourquoi ils font ça ? Que de temps perdu… c’est d’un compliqué…
Cidinha : m’en parle pas ma fille. A Salvador, tout est compliqué. Mais pas ailleurs au Brésil, pas à ce point. Tu comprends pourquoi il m’a fallu un an avant de m’adapter à cette ville de fous ? Tant que t’es touriste que tu vas à la plage et boire ton aguà de coco sans te poser trop de question, ça va, mais dés que tu sors de ça, c’est hyper stressant de vivre ici… A Paris, vous êtes des enfants de cœurs à côté de ça… Mais maintenant, j’aime bien. »
L’appartement est un rez-de-chaussée sombre et humide rempli de moustiques qui nous sautent dessus comme sur un steak bien frais. Il y a donc des barreaux aux fenêtres donnant sur une avenue à 3 voies… Cidinha leur dit avec une jolie diplomatie qui me fait sourire intérieurement que comme ils sont une agence immobilière, ils vont pouvoir maintenant se mettre à lui proposer vraiment ce qu’elle cherche.
Assiette d'acarajé.
Comme Simon a une envie irrésistible de cuisiner, nous allons au petit supermarché de la rue d’à côté qui est en fait le commencement de la « communauté » la plus proche, comme on dit ici.
Acarajé.
Nous traversons un défilé d’une cinquantaine de personnes portants courageusement leurs banderoles politiques sous la pluie et s’engouffrant de part et d’autres des favelas. Je demande à Cidinha ce que scandent et chantent les musiques lancées dans les rues du matin au soir depuis 2 semaines. Ce sont des sortes de lambadas répétitives qui passent en boucle, principalement les week-end. Cidinha ne sait pas. Elle non plus n’arrive pas à comprendre les paroles tant la musique est forte !
Salvador de Bahia. Simon attaque une bien jolie salade!
Ce soir, c’est soirée Quiche Lorraine. Cidinha se régale, mais comme elle a encore un boulot fou, elle reste une bonne partie de la nuit sur son ordinateur, sn « esclave » comme elle dit. Nous en profitons pour faire le blog, discuter de notre vie à Paris qu’on aime et qu’on adore plus que jamais aujourd’hui. Cela fait quelque chose d’être dans une ville en se disant qu’heureusement on ne vivra jamais ici, qu’on aura jamais la vie de tous ces gens. Nos petites misères parisiennes concernant la petitesse des appart’ et la difficulté pour en trouver un, les problèmes de contrats de travail, les rémunérations, etc… tout ceci n’est rien comparé à la condition de vie des gens de ce pays. Nous avons souvent entendu dire par des Brésiliens en France : « on vit mieux au Brésil, la qualité de vie est bien meilleure etc… ». Financièrement, c’est à peu près sûr si on apporte nos sous de la France et qu’on a déjà un bon job en France. Mais est-ce cela une bonne qualité de vie ?
Salvador de Bahia. Plage do Farol.
Une bonne qualité de vie reste définitivement, à nos yeux, de vivre entouré de milliers de gens qui ont de quoi de manger tous les jours, sans la crainte perpétuelle d’être agressé dans sa voiture à un feu rouge à la tombée de la nuit, de pouvoir sortir dehors seul en pleine nuit pour une balade, de boire un verre dans un bar où les gens sont de toutes les couleurs sans ségrégation « naturelle ». La misère que l’on peut rencontrer dans le métro à Paris ou à la Soupe Populaire du cimetière du Père-Lachaise reste toute relative… Imaginez cela multiplié par 75% de la population de Paris. Même si aujourd’hui cela reste choquant, on ne peut souhaiter au Brésil que d’en arriver là un jour.
Le dimanche, nous allons à la plage. Faut en profiter car il fait beau ! Mais avec la pluie d’une semaine, impossible de se baigner, c’est trop froid. On reste au soleil à regarder le spectacle des machos locaux. La plage n’est pratiquement constituée que de groupes de mecs qui roulent des mécaniques avec le dernier short à la mode, les lunettes à la Starsky et Hutch, le rasage de cheveux savant. Et c’est ainsi que se déroulent sous nos yeux des roulades, des sauts périlleux, tout le long de la plage avec bien sûr le petit coup d’œil en arrière pour bien voir qui les regardent ou pas, les plongeons savants devant les filles qui se baladent en string… L’ambiance n’est pas aussi familiale que dans les autres villes. On ne peut pas dire que les touristes dénaturent le paysage, il n’y a pas grand monde à cette époque ! Mais cela vaut son pesant de cacahuètes et nous amuse beaucoup. Cidinha a le nez plongé dans les annonces immobilières du journal du dimanche et ne remarque pas tout ce cinéma. On constate avec Simon qu’il y a très peu de filles comparés aux mecs.
Vanusa, une copine de Cidinha, prof de botanique, nous rejoint après son footing.
Vanusa : « Cidinha m’a dit que vous aviez fait une quiche Lorraine hier soir et qu’il en restait un bout. Je peux la goûter ? Déjà l’autre jour, pendant que vous étiez à Itaparica, il restait du risotto de crevettes que vous aviez fait et j’en n’avais jamais mangé de si bon ! ».
On décide d’improviser une soirée crêpes… quel succès il a mon Simon à Moi avec toutes ces Brésiliennes qui n’en reviennent pas qu’un mec cuisine autant et aussi bien ! C’est incroyable à dire, mais il n’a jamais si bien réussi sa pâte à crêpes ! On s’en ferait des piqûres…
Une bonne bière là-dessus et nous revoilà tous reparti à refaire le monde et à discutailler politique et religion… c’est incroyable quand même le nombre de gens que nous rencontrons au Brésil qui malgré tout ne sont pas croyant…
Salvador de Bahia. Plage do Farol.
Vanusa nous parle de sa grand-mère, une adepte du candomblé, la religion d’origine africaine la plus célèbre de Bahia que Pierre Verger a tant photographiée. Elle nous raconte avec nostalgie les bains de plantes que sa grand-mère lui faisait prendre pour la purifier des esprits malfaisants lorsqu’elle avait mal au ventre ou à la tête et de tout ce qu’elle a découvert scientifiquement sur les propriétés en allant à l’université de biologie. Cidinha aimerait bien que Simon fasse une consultation de candomblé car elle ne veut pas qu’il rentre en France avec toutes ces images négatives et son angoisse.
Cidinha : « tu dois te libérer des ondes négatives qui se sont abattus sur toi ! »
Moi je suis bien d’accord avec Cidinha. Un bain de plantes qu’est-ce que ça coûte après tout ! Ce serait une expérience intéressante !
Mais Simon ne veut pas. Le candomblé, culturellement parlant, ça l’intéresse, mais de là à le pratiquer, « non sans façon ». Cidinha est déçue. Pour elle, cela marche super bien…
Salvador de Bahia. Plage do Farol.
Côté politique, la jeune femme du nom de Héloïse est véritablement au cœur de toutes les conversations que nous croisons depuis quelques semaines. C’est une jeune femme d’à peine plus de 30 ans, dissidente du parti de Lula pour l’avoir dénoncé dans ses corruptions, qui se présente comme future présidente. Cidinha pense qu’elle est trop radicale et parle trop « contre » la politique de Lula au lieu de proposer un programme, et qu’en tant que « chef » d’un gouvernement, il faut savoir tempérer les situations et réfléchir à chaque cas au lieu de n’agir que par grandes théories (on résume, car les discussions ont duré jusque tard dans la nuit).
Mais Vanusa pense qu’il n’y a qu’en étant aussi intransigeant et radical, qu’un président peut faire avancer les choses. Selon Vanusa, Lula s’occupe autant des pauvres que des riches, donne autant au laïque qu’au privé. Un président ne peut pas faire plaisir à tout le monde. Héloïse veut effectuer des réformes agraires mondialement importantes qui sont pour elle l’Avenir du Brésil et du Monde en général. Et puis, c’est la 1ère fois qu’au Brésil une personne dénonce un président et des politiciens et prend de véritables risques… Cidinha et Vanusa sont toutes les deux d’accord sur ce point.
Bon, tout cela reste très vague pour nous. Mais Héloïse, avec ses cheveux longs frisés retenus par une petite barrette « Monoprix » sur le côté, et son débardeur blanc ou jaune selon ses passages à la télévision, nous laisse perplexe. C’est un peu leur Arlette nationale quoi ! C’est un peu quelqu’un comme ça qui nous manque en France. Histoire de fiche une vraie frousse à tout ces costumes 3 pièces qui jouent les rois dans nos républiques !
Dernière discussion, et les capoeiristes sont au coeur du problème, Cidinha nous parle d'une nouvelle recherche en biologie sur laquelle elle va bosser avec l'université fédérale de Salavdor : la raréfécation du beriba. Le beriba est l'arbre utilisé pour la fabrication des berimbaus. Le berimbau est l'instrument de musique principal de la capoeira. Tout capoeiriste passionné possède au minimum 1 berimbau. L'intérêt soudain des occidentaux pour la capoeira entraîne égalemen